Je suis né en 1982. À Paris. Mes parents sont portugais. Ma mère est de Lisbonne. Mon père, d’Alcobaça. Ils ont tous deux fui la dictature. Je ne suis pas baptisé. J’ai passé mon enfance à Montreuil. J’ai deux frères. Un ainé et un cadet. Mon père m’appelait « le milieu ». On vivait dans un petit deux-pièces. Mon enfance était heureuse. On me dit que j’étais insupportable. Je ne m’en souviens pas. Après Montreuil, on a déménagé à Charenton-le-Pont. Une banlieue chic, bordée par le bois de Vincennes.
À l’école, les enfants (et les instituteurs) pensaient que ma mère était femme de ménage et mon père, plombier. C’était faux mais je ne les contredisais pas.
J’avais 6 ans. Je n’aimais pas l’école. La nuit, je priais pour que la maitresse soit malade (même morte). En échange, je promettais à Dieu de ne plus dire un gros mot de ma vie. J’aimais dessiner. Et me battre avec mes frères. Tous les étés, on partait au Portugal. Pour deux mois. On partait en voiture. Trois jours de voyage. À Lisbonne, on habitait chez ma grand-mère maternelle. Elle était vieille. Je me rappelle de la peau qui pendait de ses bras comme de la guimauve. Je me rappelle aussi de son rouge à lèvres. Avant, à Lisbonne, il y avait des enfants sales et pauvres qui trainaient. J’avais peur. On allait à la mer. Et on me disait qu’en face, c’était l’Amérique. Je ne comprenais pas. Après, on rentrait en France. J’étais triste.
En cinquième, on m’a tabassé. J’étais étendu, en sang. Et quand quelqu’un m’a trouvé, j’ai dit que j’avais atterri sans mon parachute. Je trouvais ça plus drôle que la vérité.
En seconde, j’ai fait un bac où on pouvait dessiner. Mon lycée était à Vitry-sur-Seine. Une banlieue pauvre. Les garçons étaient gentils. Les filles aussi. Mais je préférais les filles. Je voulais tellement les embrasser. Et je rêvais beaucoup. Je fermais fort les yeux et dans les ténèbres de mes paupières, il y avait un paquet de couleurs, de lumière, des guerres, des baisers, des adieux, des navires, de la pluie… Je voulais que la vie soit un film. Un grand film. Un film que je ferai moi.
Et puis, les tours du 11 septembre se sont effondrées et je crois que je venais de me réveiller, j’avais 19 ans. Je faisais une école de dessin à Paris. J’ai découvert que des gens pouvaient habiter dans des maisons incroyables, des hôtels particuliers. Au Virgin MegaStore de Charenton (aujourd’hui disparu), je volais plein de livres et après, en arrivant chez moi, je faisais le compte de combien j’avais volé. Mes livres étaient ma richesse.
Je voulais faire du cinéma alors j’ai fait une école de cinéma. J’ai découvert que beaucoup de monde veut faire du cinéma. J’ai fait trois court-métrages. Les gens les trouvaient bizarres. En sortant de l’école, je voulais gagner ma vie en faisant de grands films mais apparemment, ça n’intéressait personne. J’avais 25 ans. Un de mes oncles tenait un cabinet de courtage en assurance. J’ai travaillé pour lui. Je faisais des courriers. Ça m’a amusé deux jours. J’y suis resté deux ans. J’ai vu qu’il y avait une formation de scénario. Et que surtout, je pouvais toucher le chômage tout en étudiant. J’ai fait le CEEA.
En sortant, j’avais 30 ans. Et je ne savais pas qu’on pouvait bien gagner sa vie. Avoir plus d’argent qu’il n’en faut. Pour moi, ça n’existait pas. En échange, je devais écrire des bidules pour la TV. Comme disent les chaines : du flux. J’ai écrit pour le flux du matin, de l’après-midi et du soir. Pour les différentes chaines hertziennes. C’était bien. C’était drôle. Je m’achetais de beaux habits. Et je dinais dans des restaurants avec des lustres au plafond.
Mais étrangement, j’ai commencé à me sentir mal. L’impression d’avoir des crises cardiaques. Ma grand-mère était morte. Je ne faisais plus mes voyages au Portugal en voiture mais en avion. Et il n’y avait plus d’enfants pauvres à Lisbonne… J’ai alors compris qu’il n’y avait qu’une seule chose qui me rendait absolument heureux : fermer fort les yeux et rêver. Rêver d’un grand film que je ferai moi.